13 Mai
Fragments de civilisation...

Position : N 66.49821 W 046.28571, alt. 2150 m.
Distance parcourue ce jour : 121 km
Distance totale parcourue : 621 km
Durée de l'étape : 7 H

Toujours ce foutu vent de SSE (nous mettrons un certain temps à admettre qu'il ne s'agit là que de conditions météo probablement très classiques dans le secteur du cercle polaire arctique), mais un poil mieux établi que la veille. Et toujours pas de meilleure solution que de faire d'incessants zigzags, tout en privilégiant davantage les bords nous faisant gagner de l'Est : sans que cela soit la panacée, ces zigs sont tout de même un peu plus confortables et rapides que les zags qui les précèdent et leur succèdent...

Puis, à la faveur d'un renforcement (aussi subtil qu'inattendu) du vent, nous « enquillons » les loops les uns derrière les autres, avec la régularité de métronomes. Quitte à vriller complètement mes lignes, je m'amuse à enchaîner le plus grand nombre possible de loops dans un même sens, avant d'inverser le sens giratoire d'un coup de barre. J'ai en effet remarqué que ce procédé avait tendance à tendre davantage les lignes avant de mon kite, augmentant ainsi la vitesse de la voile et donc la mienne. Une maîtrise rigoureuse et permanente de l'aile (sa trajectoire et sa tension) permet ainsi d'optimiser sa vitesse de progression. Hors, dans ce contexte de longue traversée, le principal challenge est évident : tirer le meilleur parti du vent, être le plus efficace possible, progresser rapidement...

Dans l'après-midi, un relief particulier émerge sur l'horizon de la calotte : c'est DYE 2, une ancienne station radar faisant partie de la DEW-line (“Distance Early Warning Line radar stations”). Les américains, au cœur de la guerre froide, établirent dans tout l'Arctique occidental un ensemble de stations censées les informer d'un éventuel tir de missiles nucléaires en provenance de l'Union Soviétique. Ainsi auraient-ils eu le temps de répliquer par l'envoi d'une salve identique, s'assurant d'une répartition universelle des dégâts... Au pied de l'étrange construction, deux silhouettes nous observent : ce sont les Finlandais que l'on vient de rattraper !


Nous pénétrons à l'intérieur de la station inoccupée - et laissée en l'état - depuis 25 ans. Incursion dans un monde de science-fiction où trônent, selon les étages, des objets aussi surréalistes qu'une quantité incroyable d'instruments de mesure dignes de Star Trek, des canettes de bière, un morceau de jambon congelés ou encore des revues porno ! L'état américain, toujours prêt à rendre service à ses alliés, a gentiment offert l'installation aux Danois...

Tant qu'à faire la visite des lieux, nous nous rendons ensuite chez Lou et Mark, les hôtes et gardiens de Camp Raven, un petit ensemble d'infrastructures légères posées entre deux pistes d'atterrissage. Ce couple singulier est là cinq mois durant pour assurer l'entretien et le damage des pistes sur lesquels viennent très régulièrement se poser des Hercules de l'armée américaine (le Groenland étant le meilleur terrain d'entraînement pour des vols et des atterrissages antarctiques)...

A leur table se trouvent déjà les Finlandais, mais également deux Allemands qui entreprennent une traversée est-ouest. Au chaud, une tasse de café à la main, nous échangeons nos expériences et nos sentiments sous le sourire bienveillants de Mark et Lou. C'est la première fois qu'ils voient passer trois expéditions le même jour...