19 Mai
D'une « peuf » de rêve...
à l'enfer des sastrugis

Position : N 71.10793 W 045.74533 , alt. 2450 m.
Distance parcourue ce jour : 158 km
Distance totale parcourue : 1137 km
Durée de l'étape : 13 H sous voiles


La veille au soir, les prévisions météo de Michel nous annoncent l'arrivée d'un petit coup de vent pour la « nuit ». Couchés à 23 H , nous savons qu'il nous faudra être matinaux pour en profiter.

Mais à 3 H du matin, pas de vent... A 5 H, toujours rien... En manque de sommeil, nous ne demandons pas notre reste et nous rendormons comme des masses... A 7 H, ça se met à souffler. Un vent idéal ! Tout le monde sur « le pont » ! Nous démarrons la journée dans une épaisse couche de poudreuse tombée durant notre sommeil. A l'image de la proue d'un navire qui fendrait la surface d'un océan, les pulkas dessinent derrière nous de véritables sillons et soulèvent des gerbes de neige.

Les sensations sont excellentes et le spectacle totalement enivrant durant une trentaine de kilomètres. Si ce n'est la tension extrême exercée sur nos harnais (l'abondance de neige fraîche entrave la bonne glisse de nos traîneaux ; ce faisant, la corde reliant le skieur à ses pulkas est incroyablement tendue), le « ride » est à la hauteur de nos rêves les plus fous.

Peu à peu le vent forcit, la couche de poudreuse se fait moins épaisse, quelques sastrugis apparaissent ici et là. Le chasse-neige se met en place : 35 km/h de vent établis, et déjà des rafales atteignant les 45 km/h. Ça file de plus en plus vite sous les Access 10 que nous pilotons désormais avec 50 mètres de lignes. Sensations fortes garanties !
Mais dans nos consciences, un « warning » s'est allumé : nous venons de pénétrer dans la zone rouge et la marge d'erreur se réduit de minute en minute... il devient nécessaire d'affaler la 10 avant le pépin !


Bien nous en prend : ça forcit encore (des pointes de vent à 50 km/h) tandis qu'au sol, les sastrugis se sont fait légion. Le puissant chasse-neige est à l'origine de conditions caractéristiques : des panaches de neige soulevée du sol s'écoulent violemment au contact de la calotte, un maelström grisâtre se déploie autour de nous, déchirant le ciel en lambeaux tourbillonnants, réduisant la visibilité, et nous obligeant à resserrer les rangs pour ne pas se perdre de vue...


Sous Beringer, nous déboulons à pleine vitesse dans les bosses, sautant ici et là à la faveur de bourrasques qui sustentent la voile... La concentration est de tous les instants mais ces conditions « fortes » sont décidemment très plaisantes en skisail..

En fin d'après-midi, le vent faiblit : c'est sous Access 10 et vent ¾ arrière qu'il nous faut maintenant négocier de véritables marches de 40 à 50 cm de hauteur accumulées par le vent : nous découvrons que le snowkite dans les sastrugis est tout sauf une activité reposante...


Les skis encaissent. Les jambes et le dos aussi. Pas le temps de rêvasser : il faut être très concentré pour éviter la faute de cares. Pire encore serait d'enfourcher les spatules dans un « requin » *. Dans ces conditions, la dernière heure de progression nous semble interminable. Aussi, au kilomètre 158, préférons nous mettre un point final à l'étape car le risque de se blesser devient trop important.

Sous la tente, nous constatons que le matériel souffre également d'être secoué dans tous les sens : un connecteur pour panneau solaire ainsi qu'une bouteille thermos sont cassés ; les réchauds et, plus grave, certaines bouteilles d'essence se sont dévissés... Afin de remédier à ces désagréments, on emballera désormais tout ce qui est un tant soit peu fragile ou de première nécessité dans nos vêtements.

* nom donné à certains sastrugis particulièrement acérés (voir dernière photo ci-dessus).