21 Mai
Enorme frustration !

Position : N 73.19352 W 047.58558 , alt. 2510 m.
Distance parcourue ce jour : 129 km
Distance totale parcourue : 1378 km
Durée de l'étape : 11 H

14 H. Waouuh ! ça démarre fort sous Access 10, toutes voiles calées dans un vent d'ESE de 30 km/h. Pourvu que ça dure !
Malheureusement, ça ne dure pas... la brise s'essouffle et tourne progressivement à l'ENE, nous faisant passer d'une allure portante à un vent presque « debout ». Il fait grand beau temps et le froid « pince ». Sont-ce les basses températures ou la très faible hygrométrie de l'air qui rendent la glisse si mauvaise ? Les carres crissent, nous donnant l'impression de skier sur du papier de verre...

Nous faisons le point alors que nous achevons notre pause repas de « midi » (nous sommes en fait en soirée). Agacés par notre progression peu rapide, nous sommes unanimes : nous ne pouvons pas continuer à nous « traîner » de la sorte ! Il faut accélérer le rythme et, pour cela, kiter sous Yakuzas. Seul point de divergence entre nous : la longueur des lignes. Une mesure à l'anémomètre* nous indique qu'il n'y a pas plus de 15 km/h de vent au sol. En conséquence, je prône un maximum d'efficacité : n'hésitons plus, envoyons les 100 m de lignes ! Thierry est indécis, Cornelius préfèrerait être plus raisonnable. Ok, va pour les 60 !

Je lève ma voile... et me retrouve catapulté instantanément dans le lit du vent. N'osant pas m'opposer à la voile (je ne sais que trop ce qui m'attend dans ce cas là...), je finis par larguer l'aile - au moyen du mousqueton de sécurité – qui va se poser quelque cent mètres plus loin. Thierry, surpris lui aussi, est déjà dans le décor.
Incroyable ! A 50 m de hauteur, le vent doit avoir une vitesse deux fois supérieure à celle mesurée au sol... C'est la première fois que nous constatons un tel gradient altitudinal dans la vitesse du vent. Se pourrait-il que ce soit là une caractéristique intrinsèque du catabatique qui est en train de se mettre en place ? Nous y réfléchirons plus tard, mais pour l'heure, il faut vite ranger la 12 si on ne veut pas finir en pièces détachées !

Et en effet, la progression redevient efficace sous Access 10. Vers 22 H, elle se fait même rapide.

Pour ne pas se faire embarquer une fois la voile bordée**, il faut venir la caler pratiquement à la verticale, dans le haut de la fenêtre, tout en la trimant *** de façon notoire. Lancés dans des runs à plus de 40 km/h sur une surface de moins en moins lisse, nous faisons cap vers un soleil rasant qui ne se couche désormais plus.
Soudainement – sans qu'il n'y ait eu le moindre signe préventif - , nous entrons dans une zone de chasse-neige. La traction exercée par les voiles – et notre vitesse de progression – augmente encore, si bien qu'il nous faut abattre régulièrement pour éviter de trop résister à nos ailes : à ce petit jeu-là, nous savons parfaitement qui seraient les perdants à la moindre erreur de pilotage... Il me semble que nous entrons à nouveau dans la « zone rouge ». Aussi, j'affale ma voile et témoigne de mes doutes à mes coéquipiers.

Nous allons alors tenter successivement la Beringer, puis la 10 avec 25 mètres de lignes, puis la Beringer à nouveau. Mais les erreurs de pilotage et les mauvais choix tactiques s'enchaînent et nous clouent sur place. Dans un vent dépassant les 40 km/h et par des températures en-dessous des – 20 °C (quant à la température ressentie, elle est d'environ – 40 °C !), nous perdons énormément de temps et d'énergie dans ces changements infructueux.

A 3 H du matin, c'est par une lumière flamboyante - éclairant d'or les draperies de neige qui défilent sur le sol - que nous décidons de jeter l'éponge et de boucler l'étape. Cela fait maintenant onze heures que nous kitons. Mais du fait de nos nombreux arrêts et erreurs de jugement, et alors que les conditions sont en tout point excellentes, le bilan est mitigé : lors de cette journée, nous aurons finalement passé plus de temps à l'arrêt qu'en progression ! Aussi, c'est frustrés que nous montons la tente. Il faut que l'on parvienne à plus d'efficacité ! Nous devons encore accélérer la cadence !





* Plus petit qu'un téléphone portable, cet instrument nous permet de connaître à tout moment la vitesse du vent au sol. Cette information est primordiale pour faire le choix de la voile la plus appropriée à un instant donné.
** Quand le vent est suffisamment fort, on peut encore augmenter la puissance d'une voile en la bordant. C'est à dire, en abaissant légèrement son bord de fuite, ce qui revient à lui donner une plus grande prise au vent.
*** le trimeur permet d'abaisser le bord d'attaque de la voile, et par conséquent de lui redonner un peu de vitesse et une plus large incidence de vol.