22 Mai
Pulkas rodéo !

Position : N 74.47721 W 048.85660 , alt. 2450 m.
Distance parcourue ce jour : 149 km
Distance totale parcourue : 1527 km
Durée de l'étape : 10 H


Léger vent de SE lorsque nous levons le camp en début de soirée. Nous « yakuzons » pendant deux heures, enchaînant les loops les uns derrière les autres, tout en restant ultra attentifs, tant ces voiles sont puissantes et délicates à piloter. Pour la deuxième fois, je perds un de mes sacs de pulka et – heureusement – m'en rends compte rapidement. Pas d'autre choix que de remonter au vent pour aller le récupérer : si, au portant, la voile se gère relativement bien, je prends vite conscience de la puissance démesurée générée par l'engin par vent « debout »*...

La progression est assez bonne mais des signes de plus en plus tangibles (sauts involontaires, pertes de contrôle, cafouillages au décollage ou dans les loops, chutes...) nous invitent à changer de voile avant l'accident.

Nous sommes toujours sous l'influence de hautes pressions, comme le confirme un imperturbable grand beau temps. Et aujourd'hui encore, le gradient altitudinal de vent est notoire. Cela semble attester le fait que ce gradient est une caractéristique intrinsèque aux conditions anticycloniques et aux brises catabatiques qui en découlent.

Aux alentours de minuit, le catabatique se renforce nettement, déclenchant l'apparition brutale d'un chasse-neige. Du fait de la puissance de ce dernier, il nous faut caler nos voiles dans une position peu académique, tout à fait en bord de fenêtre et presque à notre verticale.
Ces heures, alors que l'astre solaire est au plus bas sur l'horizon nord, sont les plus belles mais aussi les plus froides. Depuis quelques temps d'ailleurs, nous kitons de plus en plus régulièrement bardés de nos grosses moufles, d'une veste et d'une salopette en duvet...

La fatigue accumulée, la puissance du vent, mais aussi le retour en force des sastrugis et la fâcheuse tendance des sacs à tomber des pulkas provoquent les cafouillages des uns, les chutes des autres.

Nous progressons désormais sur une tôle ondulée géante, remake polaire du « Salaire de la peur », façon inlandsis groenlandais : aux sastrugis classiques s'ajoutent des sortes de dunes atteignant parfois un mètre de hauteur. Moins cassantes et anguleuses que les premiers, ces vagues de neige s'épousent assez aisément en une flexion de jambes. Derrière, les pulkas, qui - contrairement au skieur - ne choisissent pas leur trajectoire, font des bonds effrayants : un mètre au-dessus-du sol !

Au petit matin, je tente pour la énième fois de poser ma voile pour dévriller les lignes arrières qui ont pris – je ne sais trop comment – un tour sur les avants. Mais le vent est trop puissant et la voile ne tient pas en place : je tente de la freiner plus encore, provoquant un départ en vrille que je n'arrive plus à stopper. Le résultat est immédiat : un paquet de nœuds indémêlables ! Je n'ai plus d'autre solution que de repasser en lignes de 30 mètres.
Les copains ne sont plus en vue et ma radio ne fonctionne plus. Mais peu importe, l'essentiel est de remettre ma voile en capacité de vol... Trois-quarts d'heure plus tard, je retrouve Thierry et Cornélius prêts à chausser les peaux de phoques pour « remonter » dans ma direction.

D'un commun accord, nous décidons qu'il est temps d'aller se coucher...





* Vent contraire.